Une voiture passa. C'était une Duguesclin modèle 1905, avec soupapes sur le radiateur et pont arrière démembré.
Elle s'arrêta en moins d'un mètre (cela montait) et un vieillard très barbu passa la tête à la portière.
-Mais oui, jeune homme, dit-il avant même que Fromental ait eu le temps de placer un jalon, montez donc, mais tournez un peu la manivelle avant.
Pendant douze minutes, il tourna la manivelle, et la voiture démarra en flèche au moment où il allait ouvrir la portière pour y monter. Le vieux ne réussit à l'arrêter qu'en haut de la côte.
-Excusez-moi, dit-il à Vercoquin qui l'avait rejoint au pas gymnastique. Elle est un peu nerveuse quand il fait beau.
-Tout naturel, dit Fromental. Le retour d'âge, sans doute.
Il s'installa à la gauche du vieux et la Duguesclin descendit la côte à fond de train.
En arrivant en bas, les deux pneus du côté gauche éclatèrent.
-Il faudra que je change de tailleur, pensa Fromental sans raison valable et avec un incroyable manque de logique.
Le vieux était furieux.
-Vous êtes trop lourd! cria-t-il. C'est votre faute. Je n'avais pas crevé depuis 1911.
-Avec les mêmes pneus? demanda Fromental, intéressé.
-Bien entendu. Je n'ai de voiture que depuis l'année dernière. Les pneus sont neufs!
-Et vous êtes né en 1911? demanda Fromental, qui voulait comprendre.
-N'ajoutez pas l'injure à la crevaison! mugit le vieillard et réparez ces pneus.
Vercoquin et le plancton (Boris Vian)
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